TOMBEAU DE VAN GOGH - 1989

ALBERT AYME - JACQUES HENRIC Edition TRAVERSIÈRE 78 pages, format 28x21 cm
12 illustrations couleur
19 croquis noir & blanc
Édition originale
19 € : COMMANDER

Bibliophilie :
n° 1 à 25 sur papier pur chiffon,
avec une Peinture originale d'Ayme

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Extraits du texte de Jacques HENRIC :

LE TRIOMPHE D'A.A.

C'est vrai pour chaque tranche de l'humaine pérégrination : il appartient à un homme, et à un seul, de faire un Essai, de le faire à fond... Je suggère que le peintre A.A., étant celui qui aujourd'hui se livre à fond à son son Essai, appartient de pleins droits à cette lignée d'artistes dont Mallarmé disait qu'ils étaient travaillés par un "esprit primitif de chercherie"…
A.A. le doit-il à son esprit d'absolu, à sa chercherie intempérante, à son désir extravagant d'examiner tous les possibles, d'essayer à fond... toutes les combinaisons, d'épuiser toutes les solutions… L'énigme que propose l'œuvre en cours d'A.A. est celle-ci : comment, pour reprendre une terminologie aristotélicienne, avec de la force aboutit-on à de la cohérence ? ; comment la violence produit-elle du sens ?

Il est ailleurs A.A., il émet sur une tout autre longueur d'ondes… Il met au point depuis des années, dans le silence, dans le retrait, dans l'exil volontaire, sa méthode : un ensemble d'OPA sur le temps… Il en faut des passages et des passages de couleur… Imaginez qu'une seule Station peut exiger jusqu'à 320 passages de couleur…

Chaque Station est un instantané, c'est-à-dire l'éternité intensive du temps qui, l'espace d'un battement d'aile, se trouve dilapidée… La machinerie A.A., machinerie inédite sur tous les marchés, et surtout le marché de l'art, est une machinerie, via un corps en proie à la couleur, un temps exorbitant…
Or, il n'est pas dans le circuit, A.A. Inconnu au bataillon. Est-ce à dire qu'il ne serait, en effet, pas tout à fait un peintre?, et que ce qu'il produit ne serait pas exactement des tableaux ? Pourquoi ses références sont-elles essentiellement la musique et la littérature ? Est-ce un hasard si ce sont surtout des musiciens et des écrivains qui jusqu'alors ont été émus, passionnés par l'impeccable parcours de la planète A.A. ?

Stations : mais constituées par des séries de mises en abyme. Epiphanies, mais sur fond de ruptures, de pertes, de défaillances, de syncopes.
Tombeau : mais en creux, et musical, et vertical. La verticalité s'affirme comme un ordre supérieur que l'artiste déploie face à l'abîme…

Une méthode si rigoureuse qu'elle confine à la plus folle des démesures, à la plus nocturne des danses, à une chorégraphie où le plus obscur des désirs lance le peintre à corps perdu vers la lumière… moment de pure intensité, de présence absolue…

Comme la mort alors est loin… Vertical ! le Tombeau. Volatil bloc de lumière… Pour révélé le jaune, le fameux jaune de V.G., ce son inouï, cette "haute note jaune"… La Station, qu'est-ce d'autre que ce point ultime du temps où les broutilles lourdes du monde et de l'être, résolument congédiées, durement évacuées, laissent le champ libre à une vision - intense, concentrée… C'est une bulle de vie qui bat à la verticale même du temps. Si nous voulons comprendre la force de l'acte artistique fomenté par A.A., ne méconnaissons pas sur quel fond de refus, de négation radicale et d'absence, le grand oui de ses Stations défie le temps et la mort. - Quelle force d'âme il faut pour triompher ainsi ? Très exactement celle que déploie A.A. dans son œuvre, depuis quelque 40 ans. J.H. 1989 - Écrivain, critique à Art Press

Extraits du texte d'Albert AYME :

…Les formidables exigences que ce titre fatidique imposait d'assumer… Tentative limite, ayant pour ambition de s'affranchir de la réalité physique de l'œuvre par l'accession à un état d'envoûtement quasi hallucinatoire… Le critère de concentration sera prééminent… Forme d'écoute toute intérieure qui, en m'envahissant me révèle, en un Chemin de Croix, son sens anagogique : une Passion. A travers la trame sans fin resserrée des Stations se tressant en m'entraînant irrésistiblement dans son ensevelissement…

Les 5 Stations dans leur ensemble sont assimilables à une strophe rythmée de 5 vers lapidaires, qui se répètent, en se renouvelant, apparemment les mêmes et toujours différents, sur le mode incantatoire, tel un "pantoum" de Baudelaire. Ou bien encore, analogue à un quatuor en 5 mouvements qui s'engendrent par concaténation, fondus intimement les uns dans les autres…

Première innovation : l'écriture syncopée. La discontinuité est le principe fondateur de mon écriture picturale depuis 1960. Dans le Tombeau l'introduction de l'ellipse est généralisée dans le système soustractif des tensions… Elle intervient comme un silence, un point d'orgue découvrant le Blanc du support…

Deuxième innovation : la mise en abyme, puis la double mise en abyme par quoi se clôt l'œuvre... Je compris que chaque Station, se réfléchissant à l'intérieur d'elle-même en une opération de "duplication intérieure",imprimerait au Tombeau sa marque, sa signature propre, le sceau même de son identité… Véritable homologue pictural d'une méthode spécifiquement musicale, telle la pratique de la forme en miroir, à laquelle Alban Berg notamment a recouru dans le "Concerto de Chambre" et la "Suite Lyrique".

Par l'extrême concentration du projet pictural, l'accélération du processus, les passages de plus en plus brefs de la couleur, les lignes de force de plus en plus denses, jusqu'à saturation, le Tombeau conduit la dernière Station à une atomisation des rythmes et des signes picturaux… Dans une tension nerveuse d'autant plus élevée qu'elle est subie à la limite des possibilités matérielles d'exécution. On songe à cette lettre de Van Gogh où il décrit son propre travail en termes ne laissant aucun doute sur la tension nerveuse exigée : "Travail et calcul sec et où on a l'esprit tendu extrêmement…" Cristallisation d'un ensemble complexe de vibrations se pétrifiant en profondeur… La logique combinatoire appliquée jusqu'à ses plus ultimes conséquences, avec la plus grande rigueur, frôle ici un point de rupture proche de l'implosion, sous-tendue par une exigence morale telle que l'émotion sourd de l'intérieur de la peinture même. (Règles de l'ars inveniendi).

Ainsi s'exauçait le vœu fatidique du Tombeau
confiant les solutions au Temps.
A.A. 1987-88

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