Albert Ayme
1995, Albert Ayme à son Atelier de Paris
Photo Originale n° 3/15 - © Alain Turpault 1995
1988, Albert Ayme
Devant le «Tombeau de Van Gogh»
Photo © Pierrette Ayme
1962, Albert Ayme
Devant le «Dialogue Sans Fin», Toile Libre
Photo © Mic Lobry
1995, Albert Ayme à son Atelier de Paris
Photo Originale n° 3/15 - © Alain Turpault 1995
‘‘ Mon atelier de travail se trouve dans ma tête. Il s’agit de penser la peinture. L’Art est avant tout un moyen de connaissance et une science poétique inaliénable.’’
ALBERTAYME
ARTISTE PEINTRE
1920 - 2012
L'ARTISTE : Le peintre Albert AYME est Languedocien. Né en 1920 à Saint-Genies-des-Mourgues près de Montpellier. Mort en 2012 à Paris. Il avait 92 ans et repose dans son village natal. Nommé "Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres" en 1996, et "Citoyen d'Honneur de la Ville d'Arles". Pur autodidacte, après ses années de peinture figurative, ascétique et maîtrisée, il passe à l'abstrait en 1960 et se consacre alors exclusivement à son œuvre. Il participe en 1961 à une expérience de groupe basée sur l'anonymat (fort décevante, et catastrophique sur le plan humain) et reprend vite son travail personnel. A la fois peintre et théoricien, il a redonné un essor neuf à l'abstraction en régénérant son statut, recherche menée consciemment en solitaire pendant plus de cinquante ans et dont l'impact théorique est indéniable. Les principaux acquis de ses méthodes seront la réponse à cette exigence quasi éthique : le pur développement du "langage spécifique" de l'abstraction. Son but est de dégager les lois de la Peinture, ses structures secrètes.
Plus vous êtes précis, plus le mystère s'épaissit… la poétique est irréductible, Nomos, la loi, signifie aussi mélodie - et il fit sienne cette définition de Platon. Générosité inouïe d'un artiste : dès 1963, pour chacune de ses phases de travail, publication d'un livre où il donne ses méthodes, la genèse de l'œuvre, le développement du processus, les résultats plastiques, le pourquoi et le comment, et livrant même les "diagrammes" de ses œuvres, véritables sismographes donnés à lire. Il disait : mes textes sont un temps de ma peinture. Ainsi, par son avancée picturale et théorique, grâce à la diffusion de ses livres (édition Traversière), il a la position d'un "Maître", son influence sur un grand nombre de jeunes peintres est plus qu'évidente, on utilise ses méthodes, on les enseigne même… et pourtant, paradoxe surprenant de cet artiste, ne le cherchez pas dans le marché de l'art, la cote des peintres, ou alors vraiment très ponctuellement en galerie… Non, car il est farouchement indépendant, et tout son temps lui appartient. Rigoureux dans son travail comme dans sa vie,
il veut que l'œuvre elle-même fasse son chemin… Aussi, dans cette ligne si pure, fit il de grandes rencontres, primordiales, avec des adhésions toujours sur la pensée, débouchant sur de fructueuses collaborations, livres, catalogues, conférences, colloques, revues… et surtout l'amitié, l'échange fécond, le précieux tête à tête où se croisent les méthodes. Tout spécialement d'abord Francis Ponge, son père spirituel, puis Jean-Yves Bosseur, Michel Butor, Jacques Henric, Jean-François Lyotard, Catherine Millet, Jean-Claude Montel, Jean Petitot, Jean Ricardou, Fréderic Jacques Temple, Dora Vallier, Denis Viennet… et Marc Avelot, Christian Bernard, Hervé Castanet, Yvan Darrault, Michel Giroud, Roger Laporte, Gérard-Georges Lemaire, Michèle Moutashar, Roger Munier, Georges Roque, Michel Sicard… A ses livres il eut de prestigieuses réponses : Barthes, Beckett, Max Bill, Boulez, Caillois, Camus, Char, Etiemble, Grenier, Félix Klee, Malraux, Miguel, Paulhan, Shapiro, Sollers… Tous ces signes qui éclairèrent son isolement, ce retrait pour préserver son temps, son œuvre.
Pour lui, l'essentiel fut de la placer sur le plan historique. Un artiste ne vaut que par ses découvertes et chez lui elles sont multiples. Dans ce but un travail de base fut poursuivi, pendant 52 ans avec moi-même, sa collaboratrice et compagne de vie : les 35 publications de livres, catalogues, bibliophilies - les expositions personnelles dans les musées de Toulon, Céret, Brest, Carcassonne, Montpellier, Coutances, Rouen, Arles, Auvers-sur-Oise, et puis sa grande Rétrospective à l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, grâce à la Fondation Crédit Lyonnais. Les deux temps forts furent pour lui cette Rétrospective en 1992 et le Colloque du Centre International de Cerisy-la-Salle consacré à son œuvre en 1982, avec 12 conférenciers. Bien plus tard, enfin, suivirent les acquisitions d'œuvres dans les musées : Cholet, Montpellier, Marseille, MAM de la ville de Paris, Arles, Coutances, Carcassonne, et les Fondations Crédit Lyonnais, Pébéo, Van Gogh Arles, le FNAC, plusieurs FRAC…
Ainsi que ses nombreuses intégrations d'œuvres dans l'architecture, entre autres : les 3 pyramides monumentales de l'université de Lille, les vitraux monochromatiques de l'église d'Albi-Rayssac, la sculpture modulaire de La Seyne-sur-mer, celle du lycée de Moissac, de Toulon, les tapisseries de la DRAC de Poitiers, celles des Gobelins, et sa dernière réalisation les 17 vitraux de l'église du XI° siècle à Dampierre-sur-Boutonne en Charente Maritime, etc… qui, grâce aux architectes, lui permirent de sortir peu à peu du grand dénuement si âpre des années 60, les années flocon d'avoine… comme il les nommait affectueusement. A.A. est un Cathare pour qui l'éthique est souveraine. Il a choisi de mener volontairement une vie solitaire, exclusivement consacrée à la recherche picturale et à la rédaction de ses textes théoriques. Il a privilégié l'œuvre, non la "carrière"… - Un rude chemin solitaire et sans compromission !
"L'association de soutien à l'œuvre d'Albert Ayme" regroupe tous les sympathisants de l'œuvre du peintre - dans le but d'aider à placer maintenant cet artiste à la hauteur qui lui est due dans les circuits de l'histoire de l'Art.
L'ŒUVRE : Albert Ayme (dit A.A.) a maintes fois répété son credo : l'art est avant tout un moyen de connaissance, et une science poétique inaliénable. Il a forgé son propre langage pictural capable de réincarner, à travers des formes novatrices, les thèmes majeurs de la grande peinture classique : "Gloire, Tombeau, Chant, Offrande, Blason, Triptyque, Vanité, Nuict, Inventions"… Depuis le départ en 1962 avec l'AQUARELLE MONOCHROMATIQUE, un seul ton superposé, comme au degré zéro de la peinture, ses principales inventions, décisives sur le plan historique sont : - le RELIEF SOUSTRACTIF (1962) inversant le procédé traditionnel de tous les reliefs additifs et collages - la TOILE LIBRE sans châssis (1962) abolissant la notion de "tableau" (donc cinq ans avant Supports-Surfaces) - les SEIZE ET UNE VARIATIONS (1963) travail à partir d'une unique forme - la notion de PARADIGME (1974) engendrant des œuvres à croissance illimitée - et la méthode de la TRESSE DES 3 COULEURS PRIMAIRES (1975) nouveau fonctionnement de la couleur s'émancipant de la binarité comme du spectre.
Fil conducteur de toute l'œuvre, son obsession, son projet vital est dominé par le problème de la "Temporalité Picturale", conjuguée avec le principe puissamment opératoire du "Paradigme" qui entraînera toutes les capacités mises en jeu. Donc, jamais d'œuvres isolées, mais des séries autonomes, opérantes et transformationnelles, à partir d'un projet global. Il s'agit de penser la Peinture. Toutes les phases engendrées s'ordonnent selon une alchimie savamment dosée d'éléments actifs diversement interrogés, coordonnés et sans cesse renouvelés : temporalité intrinsèque (et non métaphorique) par la transparence des superpositions additives ou soustractives -ou les deux conjuguées, variations et non répétitions, combinatoires chiffrées ou illimitées, complexité des structures, mobilité des trajets, des passages … la couleur fonctionne comme une partition.
Autant de vocabulaires appelés pour relancer et renforcer le propos. Avec d'autres événements picturaux mis en jeu : réduplication, ablation, renversement, mise en abyme, canon, contrepoint, scansion des intervalles, strates des tessitures… avec le nombre, le sériel, véritables clés de tension, la composante musicale est ici flagrante. Développant une véritable abstraction, il se trouve que son langage pictural recoupe celui des lois musicales, rencontre visible dans les titres même de ses œuvres : "Fugue plastique, Suites, Séries, Séquences, Variations, Stations, Quartette, Chants, Septuor"… Concentration des moyens, il part toujours d'éléments simples : un seul ton, une seule forme, un carré, les obliques, 3 couleurs primaires, le seul Jaune -(ostinato? mais toujours pour variations, in Progress)- matériaux conjugués dans des structures de plus en plus complexes, avec toutes les polyphonies imaginables… attaques sérielles des infinies combinaisons, dés jetés pour surprises, gammes à parcourir… L'œuvre entière jouant comme un vaste Paradigme de toutes ses données.
Confrontation entre le réel et le virtuel, le construit et l'aléatoire, l'intuition et la règle, le rationnel et l'irrationnel, la conviction et les charmes… Depuis le départ foudroyant de ses grandes inventions de 1962 et 1963, en passant par la longue silencieuse période des MONOCHROMES BLANCS, il expérimente les structures chromatiques noir/gris/blanc dans ses nombreux PARADIGMES, puis aborde radicalement le fonctionnement de la couleur, avec "la tresse des 3 primaires", et ouvre ainsi dès 1976 ses grandes phases, toutes découlant du PARADIGME DU BLEU JAUNE ROUGE. Comme celles : -des TROIS MÉMOIRES révélant l'aléatoire, -du BLASON D'UN PEINTRE en séquences écartelées, -des CARRÉS MAGIQUES aux chiffres secrets, -de l'éblouissement des huit années dédiées "à la Gloire de Van Gogh", avec la TRIPLE SUITE et le TOMBEAU, célébrations de la "haute note jaune", -puis retour aux timbres graves des CHANTS DE TÉNÈBRES, -aux scansions des VANITÉS, des TRIPTYQUES, du QUARTETTE, -aux vertiges des NUICTS, -aux subtilités des INVENTIONS…
Toutes mes "Constellations" dit le peintre. Et en coda, à 90 ans, ce final tonique LE SEPTUOR DU BLEU JAUNE ROUGE… Soit au total 27 PHASES DIFFÉRENTES DANS SON ŒUVRE. Spécificité de son travail, toujours structurel et paradigmatique A.A. débute presque chacune de ses périodes par une SÉRIE INDIVISE (et qui le restera, ferme exigence de l'artiste dont je suis garante) au fonctionnement crescendo très élaboré et qui incarne l'essence de son projet. Puis il développe plus librement la "période" en des œuvres autonomes comme autant d'exemples et variables possibles. Nullement un paradoxe, mais la grande subversion d'A.A. est là : en amont, tout est certes pensé, mis en orbite, -prévisible ? mais la résultante finale lui échappe, en ce qu'elle est toujours une surprise en entrant dans le "fait pictural" : voilà ce que cela provoque, objectivement. Exemple dans PARADIGME la plus construite de ses œuvres, avec le seul carré l'opération soustractive vient pulvériser les opérations additives préalables, et par son éclatement il accède à l'irrationnel.
De même avec les couleurs. Suivons le donc comme un savant qui pense la peinture -puis lui laisse libre cours… S'il n'y a pas surprise à chaque fois, comme je m'ennuierais ! me disait-il. Plus la méthode est forte, rigoureuse, plus le renouvellement est conséquent, A.A. abhorre la répétition, lot de tant d'artistes ! Le dire ce que l'on fait et faire ce que l'on dit, comme le prescrit Francis Ponge est-il tabou ? Ainsi pendant très longtemps, les seuls à rencontrer son travail, reconnaître son parcours novateur, furent-ils des écrivains, des poètes, philosophes, musiciens, mathématiciens, psychanalystes, structuralistes, sémioticiens - rarement le milieu de l'art (…) - et ils l'ont répété : A.A. a réussi cette gageure : incarner à la fois le savant et le poète. Instaurer une logique comme une musique. Ils l'ont reconnu, A.A. c'est une magistrale pensée picturale en acte. A preuve cette constante devant une œuvre d'A.A., l'impossibilité de rester immobile !
C'est une invite au parcours des strates en profondeur, des plans, des temps - et des trajets de la couleur, ses entrées, ses sorties, ses arrêts, ses reprises, une circulation, une respiration… on entre réellement dans le temps organique de l'œuvre, par la grâce de la transparence, enjeu primordial du peintre. C'est une œuvre éthique, tout est donné, lisible, pur… sans aucun repentir, conclu-t-il. Oui, la leçon principale de l'œuvre du peintre est cette mobilité d'un "temps pictural" pris sur le vif, stratifié en ses moments peints. Il s'agit donc là d'une véritable avancée picturale, d'une pensée, oui, et d'une méthode, d'une écriture et d'une syntaxe, d'une contribution à l'élaboration d'une technique musicale et d'une grammaire nouvelle de la peinture. La rigueur exalte, concentre, et ainsi pousse l'effervescence du virtuel jusqu'au délire… L'œuvre est la réalisation inespérée et précisée du possible.
Martine Ayme-Saillard
Avec 12 photos (2015) de l'atelier actuel d'Albert Ayme, Paris 13°.
Photos © Martine Ayme
P.S. - J'ai vécu avec Albert Ayme, pendant 52 ans de vie commune, le partage de ce prodigieux destin d'une œuvre magistrale, sans cesse recréée, d'une vie sans cesse réinventée, avec passion. Assumant moi-même toute la gestion, expositions, éditions, représentation… pour lui préserver son entière liberté interne et tout son temps, afin qu'il puisse se consacrer exclusivement à son Art et à ses écrits, pour lui la vraie vie… Et maintenant, comment résumer A.A. ce grand théoricien ? Alors, pour ouvrir chacune de ses 27 périodes de travail, j'ai choisi parmi ses textes les fragments lapidaires les plus significatifs de sa démarche, juste l'amorce d'une approche pour évoquer son aventure, tel un poème que furent et son œuvre et sa vie. La partie théorique des 18 livres de et sur Albert Ayme est à voir dans la rubrique "LES LIVRES".

LES 27 PHASES
DE L'ŒUVRE

1960-2012INDEX DES ŒUVRES

Juillet 1960 GRANDE FRISE INAUGURALEPREMIÈRE ŒUVRE ABSTRAITE 1962 AQUARELLES MONOCHROMATIQUESVERS UNE MORPHOGENÈSE AUTONOME 1962 RELIEFS SOUSTRACTIFSAUTO-PHANIE DES SIGNES : L'INCISION 1962 DRAPS MURAUX & FRISES MURALESTOILES LIBRES - LA POÉTIQUE 1963 SEIZE ET UNE VARIATIONSFUGUE PLASTIQUE, TRAVAIL AVEC UNE UNIQUE FORME 1963-1966 MONOCHROMES BLANCSRELIEFS SOUSTRACTIFS, PHASE IRRATIONNELLE 1967-1974 HOMMAGE A MALEVITCHRELIEFS SOUSTRACTIFS, PHASE GÉOMÉTRIQUE 1974 et 1982 PARADIGME 1 & PARADIGME 2ŒUVRES À CROISSANCE ILLIMITÉE AVEC UN SEUL CARRÉ 1975 PARADIGME DU BLEU & JAUNELA POÉTIQUE C'EST LA COULEUR 1976-... PARADIGME DU BLEU JAUNE ROUGELA TRESSE DES 3 COULEURS PRIMAIRES 1979-1980 SUITE DES TROIS MÉMOIRESLES TROIS TEMPS DE LA PEINTURE 1980 BLASON D'UN PEINTRESÉQUENCE ÉCARTELÉE 1981 SUITE EN JAUNE N°1 À LA GLOIRE DE VAN GOGHLA “HAUTE NOTE JAUNE”, 10 VARIATIONS 1982-1983 CARRÉS MAGIQUESUN DISPOSITIF TERNAIRE AU CARRÉ 1984 N+1 VARIATIONS SUR UNE EMPREINTE DE VIALLATUN DES 7 PARADIGMES, AVEC UNE SEULE FORME 1985 PARADIGMES 3, 4, 5, 6ŒUVRES À CROISSANCE ILLIMITÉE 1985 SUITE EN JAUNE N° 2 À LA GLOIRE DE VAN GOGHLA “LA HAUTE NOTE JAUNE”, 10 VARIATIONS 1986 SUITE EN JAUNE N° 3 À LA GLOIRE DE VAN GOGHLA “HAUTE NOTE JAUNE”, 7 VARIATIONS 1988 TOMBEAU DE VAN GOGHCÉLÉBRATION DU JAUNE, 5 STATIONS 1988-1990 CHANTS DE TÉNÈBRESSUIVIS D'UN ENVOI (8° CHANT) À PABLO PICASSO 1989 QUARTETTE EN 5 MOUVEMENTS POUR BARNETT NEWMAN UNE TRANSLATION DES COULEURS 1990-1992 TRIPTYQUES DU SEPTANTENAIRE SCANSION DES 3 PRIMAIRES 1992 LES VANITÉSLE TEMPS, LE NOMBRE, L'ALÉA 1993-1995 LES NUICTSUN EXERCICE DE STYLE, AVEC UN SEUL NOIR 1994-1999 INVENTIONS SUR 3 COULEURS NOUVELLES GAMMES DES 3 PRIMAIRES 2010 SEPTUOR DU BLEU JAUNE ROUGECLÉ ET SOURCE, 7 VARIATIONS 2011-2012 DESSINS & INCISIONSEXERCICES GRAPHIQUES, CODA