ALBERT AYME AU FINAL


LA PEINTURE COMME FICTION POÉTIQUE - 1997
texte n° 23 du livre ÉCRITS D'UN PEINTRE

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Au final, donner la parole à Albert Ayme, avec les extraits de son très beau texte inédit d'Écrits d'un Peintre : La Peinture comme Fiction Poétique - où l'on peut saisir dans toute sa diversité et sa complexité, l'émergence de la pensée picturale de l'artiste, naissance de ses œuvres.

Extraits du texte d'Albert AYME :

A l'origine il y a le rêve…
c'est-à-dire la plus haute réalité…

Ainsi, pour le lecteur, vais-je me faire violence : exhumer de ma mémoire la chronique intime de mon œuvre élaborant sa propre "fiction poétique" autonome…
Un acte à la fois spontané et chargé d'émotion, une saisie du matériau pictural dans son état natif… Il s'agit donc moins d'une pratique, d'une exécution, que d'une conception : le lyrisme de la conception, que Van Gogh dramatisait en évoquant, lui, la fournaise de la conception…

Le pouvoir de conjurer mon ignorance historique de l'abstraction en la transmutant en force motrice… mettre à l'œuvre une intelligence simple, sensible, vierge de tout savoir préconçu, comme affranchie de tout modèle, mise au service d'une aventure picturale à un niveau de base élémentaire, en quelque sorte son niveau zéro. Bref, un authentique "commencement" -mieux encore : un fondement…

Bien fixer l'incipit et la direction à impulser au projet… Logique et syntaxe picturales sont consubstantielles… Le peintre accomplit un acte mental comparable à celui du médecin. Si le diagnostic d'origine est erroné, le problème posé par la peinture, par la maladie, ne sera jamais résolu… La révélation, toujours imprévisible, de la conjuration simultanée de tous les signifiants picturaux… Combien de temps, de réflexions, d'insomnies..? avant que cette question sans réponse ne trouve enfin la légitimité de son fondement, dans une opération inconcevable, quasi alchimique… Or, on ne progresse que par suppression…
Véritable invention de la pensée à la fois logique et intuitive. Solution éthique et poétique transcendant toute trouvaille technique et hors de portée de toute expérimentation empirique non motivée par l'exigence exclusive d'une saisie intrinsèque du Temps. Elle résulte en effet d'une intuition involuée au cœur même de sa nécessité historique en livrant le secret d'une méthode sans modèle antérieur…

"Le nouveau" surgissait intact en prenant le visage de l'évidence. La nécessité de ma solitude fortifiait ma condition anonyme, me gardant des perturbations, voire des perversions extérieures… Je m'enfonçais dans le silence des jours… Plutôt un univers de textes qu'un monde d'images… Climat poétique dont j'étais intimement imprégné et qui entretenait vivace, à l'état latent, la tension créatrice de mes ambitions et de mes rêves. Dans un tel isolement, au moins entretenais-je assidûment la flamme de mon projet global…

Très vite, l'essai aléatoire se transforma en une véritable obsession… germe d'une œuvre construite pour la première fois sur la durée, pareille à une œuvre musicale -c'était l'impulsion qui s'accordait à mon rêve. Le projet prit corps conformément à la règle d'or de ma poétique : la variété engendrée à partir de l'unité… Les Variations surgissaient une à une…
La conjugaison des exigences respectives des deux principes additif et soustractif offrait en puissance la capacité d'élaboration d'une œuvre nouvelle, mentalement "rêvée" depuis 1963 sous le titre lapidaire de Paradigme… Tout a dû être arraché pratiquement ex nihilo au cours d'un long et rigoureux travail de gestation… Une œuvre de forme ouverte… Qui mettait fin, mentalement et esthétiquement, au quasi monopole de l'œuvre unique dans le monde de l'art…

Dans ma conception picturale, une toile isolée sous la forme et l'appellation de "tableau" est comme nulle et non avenue, ce qui implique un point de vue synthétique sur la création, en consacrant la primauté du tout sur la partie. La "grammaire picturale" en est toute affectée… Fondant les notions de discontinuité et de simultanéité picturales… Un espace de l'esprit multiforme… Tout est consumé mentalement dès la mise à feu (le premier terme actualisé), et de terme à terme, le feu se transmet jusqu'à l'infini de la combinatoire…

C'est le travail de mise en forme du projet qui induit cette perfection inaccessible, capable de donner naissance à des œuvres nouvelles… Sans toutefois exclure maintes dérogations fructueuses… Cette liberté a toujours été implicite de ma démarche, où la subversion temporaire des règles fait partie de l'expérimentation. Très tôt, j'ai suivi l'intuition de desserrer les étreintes strictes des limites… La violation de la règle d'origine, outre un plaisir manifeste, l'éclaire parfois de prolongements insoupçonnables… Une effervescence picturale où l'aléatoire est sollicité dynamiquement… Comment une recherche logique débouche-t-elle sur le poétique grâce à l'intuition ? Le travail mental, qui procède par sauts qualitatifs, reste le plus souvent impénétrable à la rationalité… Je ne puis que rappeler les circonstances, le lieu, l'instant, les conditions dans lesquelles la lumière, brutalement, m'éblouit de son évidence… Et, comme dans un état second, dans le sable je dessinais de la main le diagramme représentatif de l'opération mentale qui venait de m'être révélée…

Mais il y a plus complexe encore lorsque le subconscient plonge ses antennes jusqu'à un fond insoupçonnable de notre être en éclairant soudainement une impulsion de notre pratique. Car je me fiche de la peinture… Eros est mon langage, l'unique moteur de ma vie ! Empêché d'être musicien, incapable d'être écrivain, je ne suis que peintre ! A.A. 1997

Photos de la biographie du peintre,
pages du catalogue "RÉTROSPECTIVE 1960-1992"
à l'Ecole Nationale Supérieures des Beaux-Arts de Paris