LES VANITÉS - le Temps, le Nombre, l'Aléa - 1994

ALBERT AYME - MICHÈLE MOUTASHAR - JEAN PETITOT Edition TRAVERSIÈRE 92 pages, format 27x27 cm
22 illustrations couleur, 4 noir & blanc
36 croquis noir & blanc
Édition originale, publiée grâce
au mécénat d'Ernst & Young
20 € : COMMANDER

Bibliophilie :
n° 1 à 25 sur papier pur chiffon,
avec une "Vanité" originale d'Ayme

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Extraits du texte de Michèle MOUTASHAR :

LES VANITÉS, LE PEINTRE ET LE PETIT MITRON.

La profondeur des Vanités, de toutes les Vanités, tient d'abord aux délices de la séduction… Il est probable que la fascination qui s'attache aux Vanités tient avant tout à cette secrète instabilité d'un espace disjoint, comme en état d'apesanteur, où des objets crissants glissent, immobiles, et se superposent, chacun un peu plus en surplomb sur l'autre, sans jamais coïncider. Multiplication de fractures… Respiration particulière, syncopée et fragile, décomposant la double vibration du temps.Scansion du temps horizontal et mise en abyme du temps vertical… Les césures du blanc en surimpression sur le vide organisent plus que jamais la rencontre improbable du transparent et du discontinu… Cette dialectique du peint (dit dans plusieurs de ses états) et du non peint, de l'émergence de la peinture et de la réverbération du vide, accompagne depuis toujours l'itinéraire du peintre… C'est par mesure successive, mais en même temps simultanée, que s'y opère le glissement du non peint vers le peint et l'extrême peint, tout le problème étant pour l'artiste de parvenir à ce peint sans rien perdre du vide…

Mobilité exceptionnelle… Distorsions du temps… Ce qui donne à l'ensemble cette allure comme déchaînée, presque sauvage, terriblement incisive en tout cas, que l'on retrouve telle quelle dans la leçon morale des Vanités du XVII°… Le vide y travaille l'espace comme un verre feuilleté que la soudaine dilatation des intervalles n'en finirait plus de déliter… Une étrange sensation de mouvement retour… Quelque chose comme la rencontre du futur antérieur et de l'imparfait du subjonctif… Vertige de la rétroaction… Ce délitement de la peinture s'achève, se parfait dans le dévoilement de l'empreinte déposée par le peint…

N'est-ce pas la fonction des Vanités extralucides que de permettre à l'œil de traverser d'un coup toutes les strates de l'espace et du temps ?.. L'appartenance au thème, la leçon des Vanités, c'est le croisement de la scansion accélérée des vides, en cours de cristallisation, avec le délitement du peint par l'intérieur même de la peinture. Comme deux voix contraires, mêlant l'effusion de la lenteur à la cavalcade mortelle. M.M. 1993 - Conservateur des Musées d'Arles

Extraits du texte de Jean PETITOT :

QOHÉLET : LE MAITRE, LE JUSTE ET LE SAGE. La vanité est la sanction éthique de l'excellence… Elle n'est pas un renoncement aux objets-valeurs mais leur réévaluation à partir d'une logique de l'infini et d'une esthétique du sublime (au sens de Kant). Elle est la signature du Maître authentique…

Qu'il soient savants, philosophes, écrivains ou eux-mêmes artistes, les penseurs qui ont médité sur l'œuvre d'Albert Ayme se sont vite convaincus que l'un de ses caractères remarquables résidait dans la possibilité de reprendre les problèmes majeurs hérités des grandes traditions picturales et d'en proposer une solution dans le cadre de son langage pictural… Elle atteste un rapport en quelque sorte "scientifique" à des enjeux qui, bien que prospectés par les génies de l'histoire picturale -les "phares"-, n'en sont pas moins demeurés ouverts…

A.A. est un maître… En se donnant les moyens de constituer un langage pictural spécifique, c'est-à-dire un univers sui generis… Sa science picturale n'a pas pour fin l'expression idiosyncrasique d'une singularité subjective mais la construction intelligible d'une universalité objective… Il existe des problèmes bien posables, des obstructions à leur résolution et, dans les bons cas, des solutions... Résolument abstrait, il a, sa vie durant, peint en jugeant la peinture dominante (y compris celle des avant-gardes) comme vanité. Appliquer à sa propre œuvre l'opérateur de Vanité constitue donc, là encore, une opération de redoublement… L'abstraction est l'ascèse qui permet de satisfaire à l'éthique de la Vanité… Nous retrouvons ici Mallarmé. L'aléatoire ne peut être aboli par la maîtrise créatrice.… L'acte soustractif de décomplétion et d'oblation caractéristique des Vanités vient opérer… Le conflit dialectique entre la structure permanente réelle et la structure aléatoire virtuelle se trouve considérablement approfondie… Les bandes dont le prélèvement dévoile "l'image spectrale"… ce déport met explicitement la composition en relation de "miroir" avec sa vanité… Un jeu métrique (au sens poétique). Les dernières variations des Vanités s'ouvrent comme un émouvant polyptique sur l'empreinte aléatoire des actes picturaux. L'œuvre mise à nue par son créateur, même, devient la signature du maître qui comprend l'au-delà de la maîtrise… Y compris un temps pour la possession du temps et un temps pour la dépossession du temps. J.P. 1993 - Directeur du Séminaire d'Épistémologie des Mathématiques
de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales

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